Hassan El Kamoun – Librairie de Paris

Hassan El Kamoun, autodidacte amoureux du livre, entrepreneur dans l’âme et acteur associatif engagé, est à la tête de la dynamique librairie de Paris située en plein cœur d’El Jadida. Le relationnel est un moteur fort du projet de Hassan El Kamoun. Sa vivacité et ténacité à soutenir le projet d’une chaîne du livre cohérente, dans le respect du travail de chacun de ses acteurs, l’ont amené à co-créer, et prendre la présidence de l’association des libraires indépendants du Maroc (ALIM). Il nous raconte son parcours.

Comment êtes-vous devenu libraire ?

Hassan El Kamoun : Je suis natif de Ghafsei, un village situé dans le pré-Rif, une région montagnarde où j’ai passé mon enfance et adolescence. J’étais un lecteur assidu, et la nature calme environnante favorisait cette activité.
J’ai étudié à Fès, où j’ai obtenu en 1992 une licence en langue et littérature françaises.
N’ayant pu obtenir de visa pour aller continuer mes études en France, et vu la difficulté à obtenir du travail à cette époque, j’ai fait le commerce d’objets artisanaux entre Fès et Casablanca. Je me suis par la suite installé en 1997 à El Jadida pour y travailler, dans une petite librairie-papeterie.

En 2013, lors d’un passionnant séminaire tenu par le Bureau international de l’édition française (BIEF) et le Centre national du livre (CNL) à Casablanca, c’est la rencontre avec les acteurs de la chaîne du livre venant du monde entier qui m’a décidé à choisir le métier de libraire. J’ai alors converti un local en plein centre d’El Jadida en librairie, que j’ai nommée la Librairie parisienne, ou Librairie de Paris. J’ai pu bénéficier d’une subvention octroyée par le ministère de la Culture au Maroc, et la librairie a ouvert en grande pompe le 16 mai 2015, date symbolisant la lumière de la culture versus l’obscurantisme qui a amené aux infâmes attentats de Casablanca du 16 mai 2003.

Comment répondez-vous aux besoins de vos clients dans votre librairie ?

Hassan El Kamoun : Il s’agit d’une librairie généraliste et diversifiée, pour répondre à tous les besoins de nos clients. On y trouve de la littérature arabe et française, mais aussi des livres de droit, de sciences humaines, des mangas… On y trouve aussi des articles de papeterie ou beaux-arts.

Les livres se vendent bien quand le client voit la couverture. J’ai donc développé un rayon pour les nouveautés et une pochothèque tout à l’entrée, une vitrine renouvelée chaque semaine, un rayon dédié à la littérature marocaine.

Mon collaborateur s’occupe de conseiller les clients qui cherchent des livres en arabe. J’essaie aussi de le faire pour les livres en français, bien que très pris pas la gestion quotidienne de la librairie.

Pour les livres édités au Maroc, et dans le cas où le livre n’est pas disponible en librairie, nous nous adressons à l’éditeur, aux grossistes au quartier Habous de Diour Jamaâ à Rabat, ou faisons une recherche sur le groupe Whatsapp du réseau des libraires au Maroc.

Pour certains livres en français introuvables au Maroc, j’utilise la base de données de Dilicom. Si je n’y trouve pas le livre, je le cherche en seconde main sur le site Amazon. Je fais ensuite venir le livre de France. Nous garantissons ce travail de fourmi à nos clients.

Pour plus d’efficacité, nous travaillons à acquérir un logiciel performant pour gérer les commandes.

Qui sont les clients de votre librairie ?

Hassan El Kamoun : 90% des clients qui viennent savent déjà ce qu’ils veulent acheter. 10% sont donc des gens de passage, qui viennent découvrir ce lieu tout proche de la cité portugaise et qui se trouve sur le grand boulevard qui mène à la mer. Notre clientèle est constituée d’étudiants, d’architectes, d’avocats, de professeurs universitaires, de français résidents, de retraités, de jeunes en recherche de mangas…

Organisez-vous des rencontres littéraires ou signatures ?

Hassan El Kamoun : Nous avons organisé jusqu’à vingt animations culturelles par année, in situ et hors les murs, avant la crise sanitaire. Je tiens à ce que les auteurs et le public soient très bien accueillis. Ce travail relationnel et de fond nous a permis d’avoir d’excellentes relations avec les auteurs, ainsi qu’avec les institutions et le tissu associatif local.

Nous proposons aussi une programmation spécifique durant les longues soirées du ramadan, avec des interventions de professeurs universitaires, et le public est toujours au rendez-vous.

L’organisation d’événements est une charge de travail supplémentaire, et l’espace restreint nous contraint à réorganiser les espaces au sein de la librairie.

Vous avez des projets pour le futur ?

Hassan El Kamoun : Le livre numérique en général est encore balbutiant au Maroc, mais le livre scolaire numérique devrait bientôt se déployer, ce qui représente selon moi la clé sous la porte pour 90% des librairies. Elles survivent grâce à la vente du livre scolaire et universitaire, et le parascolaire.

Pour m’adapter au changement à venir, j’ai pour projet d’ouvrir un nouvel espace sur 100 m2, car j’ai constaté un réel intérêt pour le matériel beaux-arts, dans lequel se dérouleront des ateliers de peinture.

Je crois toujours au futur du livre en papier. Mon ambition est aussi d’ouvrir un espace de 1200 m2 sur trois niveaux, avec de beaux espaces de présentation des livres, pour inciter les lecteurs à acheter. Au 1er étage, je souhaiterais ouvrir un espace polyvalent et bien équipé, qui permettrait d’organiser des événements culturels.

Quel est votre avis sur la chaîne du livre au Maroc ?

Hassan El Kamoun : Nous sommes confrontés à énormément de problèmes, qui sont à mon sens trop souvent passés sous silence. En vendant directement au client, les maisons d’édition et les importateurs court-circuitent les librairies via le groupe de distribution et de diffusion Sapress-Sochepress. Les maisons d’édition et les importateurs vendent aux institutions, leur octroyant 25 à 30% de remise, donc la même remise que celle octroyée aux libraires. Le retour des livres invendus n’est pas autorisé, et les libraires se retrouvent avec des stocks sur les bras. Il manque des bases de données spécifiques au Maroc, que les librairies pourraient utiliser pour faire des recherches de livres. A part Sochepress, on constate un cruel manque de diffuseurs au Maroc, dont le rôle serait de soutenir les libraires. Enfin, la contrefaçon de livre se retrouve chez les bouquinistes et sur le parvis de toutes les villes du Maroc, sans aucune intervention pour arrêter cela.

Une note positive sur le secteur du livre au Maroc ?

Hassan El Kamoun : Les libraires placent grand espoir dans le ministère de la Culture au Maroc, avec à sa tête le jeune et ambitieux ministre monsieur Othman El Ferdaous, et madame Latifa Moftaqir, qui dirige le Département Livre, Bibliothèques et Archives de ce ministère. Nous travaillons ensemble pour créer un label des libraires et tenter de réguler le secteur du livre, avec une loi qui pourrait régir tous ses maillons. Il y a nécessité d’asseoir tous les acteurs du livre autour de la table, sous l’égide du Département du Livre du ministère de la Culture. Il manque en effet un organisme sous tutelle de l’État, du calibre du Centre National du Livre (CNL) en France ou en Algérie, qui pourrait faire des propositions de lois, et les faire appliquer.

Depuis quelques années, et bien que le budget du livre du ministère de la Culture ne soit pas très conséquent, ce dernier aide à financer et aider à l’installation de nouvelles librairies.

Nous plaçons également notre espoir dans le projet de plateforme de la Maison du livre, porté par l’Institut Français du Maroc, qui contribuera à nous donner de la visibilité.

Propos recueillis par la Maison du livre – Février 2021