Eva Chanet – Éditions Actes Sud

Comment est née votre vocation d’éditrice ?

Eva Chanet: Cela remonte à l’adolescence, où l’influence de la littérature, des écrivains et des artistes en général est devenue à mes yeux primordiale. J’ai eu un désir profond d’entrer dans ce monde pour connaître et approcher modestement ceux qui avaient ce pouvoir incroyable de création, en particulier les littéraires, et les romanciers surtout.

IIl n’y avait pas de livres dans ma famille, du moins pas de livres de fiction, cela a été un cheminement très personnel et singulier, pas toujours bien accepté par les miens, qui n’ont pas vraiment compris mon cheminement. 

J’ai donc fait des études de lettres modernes à la faculté, dans le but et l’espérance d’intégrer l’édition. J’ai croisé le chemin d’Hubert Nyssen et de Bertrand Py, à travers la littérature étrangère notamment. Puis j’ai eu la chance de rentrer dans leur équipe au début de l’aventure Actes Sud. 

En quoi votre maison d’édition Actes Sud se distingue ?

Eva Chanet: Elle se distingue depuis toujours et d’autant plus maintenant par son statut de maison indépendante. Nous publions de la littérature française mais aussi et depuis le tout début beaucoup de littérature étrangère. C’est une maison d’édition dans laquelle nous pouvons travailler en toute confiance, la force de notre conviction déterminant nos engagements éditoriaux, Désir et nécessité disait Hubert Nyssen. Les éditeurs d’Actes Sud composent les collections à leur image, nous sommes complémentaires et nous n’avons pas de comité de lecture. Bertrand Py, notre directeur éditorial, grand architecte de notre catalogue depuis les premiers jours, est notre unique interlocuteur, c’est à lui que nous apportons nos textes. Riche de cette singularité l’équipe éditoriale d’Actes Sud change très peu. Certains sont partis parce que l’âge venait, l’équipe s’est agrandie avec l’ouverture de nouvelles collections de genre, il y a aujourd’hui beaucoup plus de jeunes parmi nous. 

Avec toutes les difficultés que nous avons, tant la situation de l’édition en France est difficile, nous avons dans cette maison la chance de construire un catalogue avec la même exigence que par le passé, la même curiosité, la même intégrité aussi. Notre direction ne nous impose pas de choisir un auteur ou un thème parce qu’il pourrait nous rapporter avantages et réseaux.  

Les éditions Actes Sud étaient invitées d’honneur au SIEL 2023 sur le Pavillon France. Quelles sont les perspectives envisagées après votre passage ?

Eva Chanet: Nous y avons été merveilleusement accueillis, et nous avons pu rencontrer des personnes très bien. Cela a réveillé un principe de volonté et de désir fort, car il n’y a pas assez de ponts entre le Maroc et notre catalogue français, avec le monde arabe en général d’ailleurs, je parle ici du passage de nos auteurs français vers les catalogues de nos confrères marocains. Dans l’autre sens, comme vous le savez, Farouk Mardam-Bey fait un travail inégalé.

Les freins sont souvent d’ordre juridique, mais cela peut tout à fait être réglé. Beaucoup de complexités financières aussi, des problèmes administratifs peuvent entraver nos échanges.  

Je suis venue au salon avec Yasmine Chami, romancière que j’aime énormément et depuis très longtemps. Je voudrais pouvoir la coéditer avec Layla Chaouni des éditions Le Fennec. Il faut que l’on trouve ensemble des traducteurs qui sachent faire passer en arabe la beauté de sa langue, complexe et métissée, un travail de haute volée que j’espère réalisable sans tarder. Il faut donner du temps au temps.

Propos recueillis par la Maison du livre – Octobre 2023