Éditeurs

Stéphane Durand – Éditions Actes Sud

Biologiste et ornithologue de formation, Stéphane Durand a été coauteur des scénarios, et conseiller scientifique des films de Jacques Perrin. Il est depuis 2020 créateur et éditeur de la collection « Mondes sauvages » chez Actes Sud, et y anime le pôle Sciences, Nature et Société.
Sur le stand de l’Institut français du Maroc au Salon International du Livre et de l’Édition 2023 (SIEL), cet éditeur aux multiples compétences a su créer des opportunités de projets entre les deux rives.

Comment est née votre vocation d’éditeur ?

Stéphane Durand : Je n’ai jamais souhaité être éditeur. Je n’ai fait que répondre aux attentes de personnes rencontrées au bon endroit, au bon moment. Je suis entré en tant que scientifique dans le monde du cinéma auprès de Jacques Perrin, et il s’est avéré que j’étais très à l’aise avec l’écriture des scénarios de ses films sur la nature. Ces films ont fait le tour du monde. Cela a été pour moi une expérience absolument incroyable. 

Par ailleurs Jacques Perrin souhaitait que la sortie des films au cinéma soit accompagnée de livres pour en expliquer les coulisses, et tout ce que le film n’explique pas sur les animaux filmés. Ces films sont des aventures poétiques, des spectacles avec de très belles images et de la musique. Ce ne sont pas des documentaires. Les livres ont permis de répondre à toutes les questions du public. Comme j’aimais écrire, et que j’écrivais déjà les scénarios, je me suis retrouvé propulsé auteur de ces livres. 

Nous avons d’abord travaillé avec les éditions du Seuil, puis en 2016 avec Actes Sud pour le film Les saisons. 

Lors de la fête qui a accompagné la sortie du film et du livre, Jean-Paul Capitani, qui dirigeait les éditions Actes Sud à l’époque, est venu me voir pour me dire qu’il ne fallait pas attendre un autre film pour travailler ensemble. En effet, il se passait entre cinq et huit ans entre chaque film de Jacques Perrin. Et donc au fil de la conversation, entre ses envies et mes envies, une jolie collection naissait en fin de soirée, qui allait par la suite se nommer Mondes sauvages. J’ai donc créé et dirigé la collection Mondes sauvages, tout d’abord en freelance, car je continuais de travailler dans le cinéma. 

En 2020, on m’a proposé de rejoindre la maison d’édition pour devenir éditeur à temps plein. C’était au moment de la crise sanitaire et du confinement. Le cinéma allait très mal. Je me suis dit que c’était l’occasion de tenter une nouvelle aventure. 

Jacques Perrin et Jean-Paul Capitani avaient quasiment le même âge. Ils étaient un peu les mêmes personnages, extrêmement enthousiastes, hyperactifs avec 12 000 projets à la seconde, généreux et prêts à faire confiance en des gens auxquels ils croyaient. Je suis devenu éditeur sans jamais avoir fait d’études d’édition, comme j’étais entré dans le cinéma sans jamais avoir fait d’études de cinéma.

En quoi votre maison d’édition Actes Sud se distingue ?

Stéphane Durand : Elle se distingue à plusieurs niveaux. Par la taille, elle reste une petite maison d’édition à côté des énormes mastodontes. Par rapport à l’ensemble des maisons d’édition, elle est elle-même imposante. C’est, disons, une maison d’édition intermédiaire. 

Elle est surtout 100% indépendante. Elle ne dépend d’aucun actionnaire, d’aucun groupe, donc elle jouit d’une liberté totale pour faire ce qu’elle souhaite. 

Elle est portée par les libraires indépendants car elle y vend la majorité de ses livres. On chouchoute donc les libraires, on les accompagne, on est extrêmement présents et enveloppants. C’est une relation tout à fait particulière. Les libraires nous le rendent bien, ils aiment beaucoup travailler avec Actes Sud

C’est aussi une maison qui porte des valeurs qui sont très proches des miennes, avec une sensibilité à tout ce qui touche à la science, à la nature, à la transition écologique. Et ce depuis longtemps, bien avant que je l’intègre. De plus, la qualité du texte, l’exigence littéraire sont extrêmement présents. 

Actes Sud s’est faite connaître avant tout par la littérature étrangère et française, d’une certaine manière je poursuis cela avec les textes de la collection Domaine du possible. Nous sommes très exigeants tant au niveau de l’information scientifique, qu’au niveau de la langue et de la manière dont ces récits sont racontés. Je suis très pointilleux là-dessus. J’ai une formation scientifique, et je suis depuis toujours un lecteur assidu. La qualité narrative des textes compte autant que les informations scientifiques qu’ils transmettent. Nos lecteurs le reconnaissent et l’apprécient, tout autant que les libraires. 

La collection Mondes sauvages était un OVNI quand elle est arrivée dans le marché de l’édition. Depuis bientôt six ans, elle est vraiment identifiée et aimée. 

Côté cinéma, je continue de travailler avec la société de production de Jacques Perrin. Il est décédé l’année dernière, mais sa société de production continue. Nous développons pour Arte une série de documentaires de 52 minutes qui va s’appeler Mondes sauvages. Il s’agit d’une adaptation télévisuelle de la collection de livres, qui porte le même nom. 

Les éditions Actes Sud étaient invitées d’honneur au SIEL 2023 sur le Pavillon France. Quelles sont les perspectives envisagées après votre passage ?

Stéphane Durand: Nous avons clairement envie de travailler avec des éditeurs marocains et l’avons dit de façon explicite lors des rencontres professionnelles. Dans ce monde de plus en plus dur et concurrentiel, il faut que l’on se serre les coudes et que l’on mette en œuvre de plus en plus de projets communs. 

J’ai rencontré des éditeurs marocains avec lesquels nous avons envie de coéditer des projets. Par exemple, j’espère lancer un projet avec une journaliste et écrivaine  marocaine de talent, qui a déjà un éditeur marocain. L’idée est que l’éditeur marocain et l’éditeur français, en l’occurrence moi, accompagnons l’écrivaine journaliste dans l’écriture de son texte, et puis qu’ensuite nous nous partagions les droits. L’éditeur marocain aura les droits pour le Maroc, et Actes Sud aura les droits pour la France. Ainsi il n’y aura pas besoin d’importer le livre français au Maroc, ce qui évitera un tarif prohibitif. Chacun pourra ainsi façonner un livre comme il le souhaite, pour le rendre accessible au marché de son propre pays. 

Édité en France, c’est un livre qui sera vendu 22 euros. Avec les coûts d’importation au Maroc, cela serait un livre vendu 25 euros et plus au Maroc, quand les livres édités directement au Maroc sont vendus entre trois et cinq euros. Le projet est embryonnaire à ce stade, et j’espère qu’il se fera.

Il y a au Maroc des auteurs de talent, et des éditeurs extraordinaires qui font des objets magnifiques avec peu de moyens.

Propos recueillis par la Maison du livre – Juillet 2023